

Qui se souvient du « Train Kasztner » ? Rezso Kasztner, pour certains, serait l’homme qui a vendu son âme au diable. Pour d’autres, c’est un héros. Ce qui est plus juste.
C’est l’histoire de la déportation des Juifs hongrois en 1944 que Yoram Leker, l’un des descendants de ce train raconte…
Début 2019, Michal Ben-Naftali avait publié chez Actes Sud un roman sur cet épisode dramatique de l’histoire de l’holocauste : « L’Énigme Elsa Weiss ». Elle avait imaginé un personnage pour évoquer le sort injuste d’un homme qui sauva près de 1700 Juifs hongrois en négociant avec Eichmann. Plus tard, dans les années 50, en Israël on jugea Kasztner. Certains Juifs, par jalousie, jouaient à dénoncer celles et ceux qui, que… L’honneur fut rétabli… Mais Kasztner fut assassiné, sans doute par les services secrets de Ben Gourion.
Yoram Leker, l’un des descendants de ce train revient sur cette histoire. Il est aujourd’hui avocat et il nous propose une saga familiale truculente depuis les années 40 jusqu’à nos jours en offrant comme dans un roman choral, le point de vue de Csillu, la mère, une femme exubérante, rescapée de Bergen-Belsen, Tamas, un cousin, Agi qui ne voulait pas mourir vierge et était amoureuse d’Ivan, le sien aussi. Les faits sont dramatiques, mais le ton de ce récit à la mode des contes yiddish, cherche le merveilleux, le rire même au cœur de la tragédie. Et quand on sait que c’est une page d’histoire vraie, même si on rit, l’émotion affleure.
Vendre son âme au diable… Dans Faust… oui, mais ici… Même le diable n’aurait pas voulu de ces âmes, il s’est chargé de souffler dans celle des nazis pour que le boulot soit fait. Et il y eut le courage de quelques-uns, dont Kasztner pour négocier, s’adresser aux Alliés. On pouvait sauver bien davantage de Juifs, mais on ne l’a pas écouté, pas plus que Brand, l’émissaire que l’on envoya en Grèce, un simple aller et retour. Il ne put revenir à temps et les déportations eurent lieu, tragiques pour tant d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants.
Entre les lignes, on entend le violon d’Agi, Mahler, Tchaïkovski… Sa colère aussi : « Je suis comme un goût amer. Je suis la Symphonie de l’ancien monde. Je suis Mme Butterfly. Je suis la colère de Gabor, je suis le fantôme d’Ivan. Ils vont m’entendre depuis la fosse d’orchestre jusqu’au fin fond de leurs tripes. Je suis la chair meurtrie de Mme Butterfly, déchirée par les barbelés du camp de Bergen-Belsen. Je suis la fin des temps. ». Le chemin vers la terre d’Israël n’a pas été un chemin de sable fin bordé de roses.
Ouvrage à ne manquer sous aucun prétexte.