

Impossible de s’arracher au livre d’Anne Berest quand on le commence. Impossible de l’oublier quand on l’a terminé. On reste sous le choc…
En 2003, arrive dans la famille d’Anne, une carte postale représentant l’Opéra Garnier avec quatre prénoms Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques. Ce sont les prénoms de membres de la famille maternelle qui a été décimée au cours de la seconde guerre mondiale.
Comme on ne sait pas qui a envoyé cette carte (pas de signature), on l’oublie dans un coin. Mais presque vingt ans plus tard, Anne, sur le point d’accoucher, s’interroge et décide d’enquêter. Sa mère Léila raconte ce qu’elle sait, mais il faut aller plus loin. Pas facile, car la grand-mère, seule survivante, a préféré se taire, oublier…
Anne va engager un détective privé, éplucher les archives un peu partout et elle finira par reconstituer cent ans de l’histoire familiale commencée en Russie, qui passe par Israël pour échouer en France. Quelques membres réussiront à gagner l’Amérique… Ephraïm et Emma ont choisi la France, la terre des droits de l’homme. Ils y vivront dix ans sans parvenir à obtenir leur naturalisation. La déclaration de guerre a ruiné tous les espoirs. Pourtant, les enfants allaient en classe, s’étaient bien adaptés.
Plus rien ne va. Faut-il retourner à Haïfa où les parents ont fait pousser des orangers ? (Eux ont fui)…
Le nazisme est en marche… Mais Ephraïm ne peut croire qu’il viendra jusqu’en France. La France n’est pas l’Allemagne, la France n’est pas la Pologne.
Ce livre qui se dévore montre la vie des juifs étrangers en France pourchassés par les lois ignobles de Vichy pour les piéger.
C’est bien sûr une enquête qui permet de reconstituer la généalogie familiale et à l’auteure de s’inscrire au sein de cette famille au moment où elle va être mère. Qui suis-je ? D’où je viens, que vais-je transmettre ? Mais ce sont aussi et surtout des pages qui lui permettent de se situer par rapport à la judéité de la famille. Qu’est-ce que qu’être juif ? Pourquoi les juifs ont-ils été de tout temps montrés du doigt, persécutés ? L’antisémitisme reste, hélas, bien présent, aujourd’hui encore.
Ce sont des pages qu’il faut lire. Comme un devoir de lecture, car aucun mort ne doit être oublié. Ephraïm s’était efforcé de ne pas pratiquer sa religion, au nom de sa liberté, il voulait être comme tout le monde et pourtant il fut rattrapé par les démons qui pourchassaient les juifs.
Magnifique ouvrage sur la mémoire, sur l’histoire. Ne craignons pas de le lire. Il nous faut savoir et comprendre afin de terrasser le mal et d’oser regarder devant sans honte, sans frémir et surtout avec fierté.
L’auteure sera présente au Livre sur la Place à Nancy du 10 au 12 septembre 2021 et participera à la table ronde « Nos identités » le 11 septembre 2021 de 16 h à 17 h à la Préfecture aux côtés de Christophe Bolstanki « Les vies de Jacob » (Stock) et de Kallia Papadaki « Sillages » (Cambourakis). Élise Lépine animera la rencontre avec la participation de l’interprète Vaggelis Gikas.